Ben voilà, c'est parti.
"La mer Baltique ? mais il fait froid là-haut. Mais qu'est ce que tu vas faire
dans le noir ? mais pourquoi tu ne vas pas en Grèce, en Croatie, en Tunisie, aux Antilles comme tout le monde, là où il fait chaud ?"
Voilà quelques remarques auxquelles j'ai eu droit avant de partir.
Je sais pourquoi j'y vais et je tâcherai au fil du temps de vous démontrer que ce n'est pas parce que la plupart des bateaux n'y vont pas que ça n'a pas d'intérêt.
Bien sûr qu'un jour j'irai sous des latitudes plus chaudes. J'imagine que ce sera plus facile d'aller du froid vers le chaud que l'inverse.
Histoire, une fois de plus, de ne pas faire comme les autres, je vais enlever le mât du bateau et rejoindre ces contrées en passant à l'intérieur des terres, pas sur un camion, mais en
effectuant un périple fluvial à travers la France et l'Allemagne, soit 2000 km de "péniche".
Après tout, je ne suis qu'un marin d'eau douce, ayant rarement quitté les eaux du lac Léman depuis que je navigue.
Donc, pas de traversée du Golfe de Gascogne, ni de passage de la pointe de Bretagne et de la Manche en automne et je ne vous parle même pas de la Mer du Nord avec ses courants, ses marées, sa
météo et son trafic pour le moins intense.
Pourquoi pas cette traversée tranquille d'une bonne partie de l'Europe ?
Ce trajet comprendra la remontée du Rhône et de la Saône puis passage sur toute la longueur du canal des Vosges pour rejoindre la Moselle qui nous emmènera en Allemagne. 240 km de Moselle dans
le sens du courant, jonction avec le Rhin à parcourir sur 200 km aussi avec le courant dans le bon sens. Ensuite cap à l'Est puis au Nord par des canaux pour arriver dans l'eau peu salée de la
mer Baltique à Travemünde au Nord de l'Allemagne.
Départ le 4 octobre 2008 du Grau du Roi près de Montpellier.
"mais pourquoi tu pars en cette saison ? Attends le printemps au chaud !"
Pourquoi maintenant ? parce que le bateau est prêt à naviguer maintenant (même si les aménagements intérieurs ne sont pas terminés) et que j'ai tellement envie de partir. Plus de 40 ans que
j'en rêve !
Je ne pars pas seul, mais avec Jean-Claude équipier expérimenté, vieux routier du Rhône, qui va m'accompagner jusqu'à Lyon et qui m'initiera au passage des écluses.
6 jours pour ce trajet de 300 km, pas vraiment rapide (5 km/h) mais c'est quand même un peu ce que je cherche, non ? Je pense que ce genre de déplacement ne conviendrait pas tellement aux
stressés hyperactifs, ou alors en guise de thérapie; ça convient sûrement mieux aux rêveurs contemplatifs.
Le Rhône
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13 écluses,la plus impressionnante étant celle de Bollène avec ses 23 m
de dénivelé.
Les paysages ne sont pas toujours très bucoliques et c'est plutôt du genre tourisme industriel avec centrales nucléaires et usines pétrochimiques en guise de
décor.

A Lyon, c'est le confluent avec la Saône
et c'est une autre navigation qui commence.
Jean-Claude est parti pour d'autres occupations et j'ai le grand plaisir d'avoir avec moi jusqu'à Mâcon ma fille Camille et son copain
Morgan.
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La Saône
Fini les grandes écluses, trafic commercial moins important, beaucoup moins de
courant et avec l'expérience acquise sur le Rhône, tout paraît plus facile.
C'est vraiment une navigation paisible à la campagne.
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La dure vie de marinier...
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Vaches mutantes qui regardent passer les bateaux et pas les
trains...
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Progressivement, la rivière se rétrécit et prend par moment l'allure d'un canal.
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Il y a même des tunnels !
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et, évidemment, des écluses.
et il faut quand même que je vous explique comment ça se passe dans les
écluses:
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1ère chose, entrer dans le bassin, la porte fait 5,20 m et le bateau 4 m
de large plus les pare-battage.
Pas beaucoup de place de chaque de chaque côté
donc.
A priori, c'est pas compliqué sauf s'il y a du vent latéral. Pas
mécontent d'avoir un bateau en aluminium épais donc hyper solide et en plus pas de peinture à érafler.
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Ensuite, il faut s'arrèter ce qui ne pose pas trop de problème si on avance
lentement avec un petit coup de marche arrière. Evidemment s'il le vent vous pousse, ç'est tout de suite moins évident, surtout qu'il peut y avoir un autre bateau devant
vous.
Pas de problème pour moi, j'étais toujours tout seul. Quelle idée d'aller sur les
canaux au mois d'octobre !
Il faut s'arrèter si possible au niveau de l'échelle, puis monter sur le bord du
bassin pour d'abord amarrer le bateau, puis déclencher le dispositif d'éclusage en soulevant une perche bleue en haut de l'échelle. Après, c'est cool, on regarde le bateau monter en reprenant les
cordages au fur et à mesure. Sauf dans certaines écluses où les remous provoqués par le remplissage sont importants et font bouger le bateau dans tous les sens. dans ces cas là, il faut
tirer sur les amarres, parfois assez fort, tantôt devant, tantôt derrière.
Et voilà le travail !
La sortie n'est pas forcément facile s'il y a du vent latéral car le bateau
s'appuie sur un côté, heureusement il y a les pare-battage !
Quand on va dans l'autre sens, en descendant, c'est plus simple et moins de
boulot: pas besoin de monter à l'échelle, on se laisse descendre avec le bateau.
Canal des Vosges
Il fait suite à la Saône et je l'ai beaucoup apprécié.

C'est maintenant une navigation forestière. Je n'ai pas vu de sangliers mais
j'imagine que eux m'ont vu passer.
C'était le grand calme, le désert même. je n'ai rencontré que les employés des
Voies Navigables de France. Selon eux, j'étais le seul usager sur les quelques 120 km du canal.
La navigation est assez facile mais demande beaucoup d'attentionsi car le
canal n'est pas très profond, 1,40m par endroits, qu'il est parfois très étroit, ce qui m'a valu de m'échouer 2 fois et de taper un caillou en serrant la rive pour croiser une péniche
sablière, le tout sans dégât.
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Un pont de plus, mais cette fois, je suis dessus !
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Amarrage pour la nuit en travers du canal car mes quilles ne me permettent pas de m'approcher de la rive parallèlement à celle-ci. De toute façon, il n'y a pas d'autre bateau qui circule et les
écluses sont fermées la nuit.
Après une escale à Epinal, le canal rejoint la Moselle qui me mène Toul (où je
retrouve Camille et Morgan pour quelques jours) , Metz et Thionville.
Le joli pont sur le canal qui mène au port de Toul.
Ca a été quand même un soulagement d'arriver au bout de ce canal des Vosges,
aussi beau soit-il.
Pas question d'utiliser le pilote automatique à cause de l'étroitesse du canal,
donc à la barre toute la journée quelle que soit la météo, ça signifie aussi de s'arrèter à midi pour manger, donc mettre l'ancre.
C'était aussi une activité intense certains jours, les écluses étant parfois très
proches les unes des autres.
Le 23 octobre, 23 écluses "montantes" (27 km dans la journée, le tout sous la
pluie), le 24 octobre le point culminant du trajet à 320m d'altitude et le 25 octobre 25 écluses descendantes.
5 jours pour franchir les 120 km ponctués par 92 écluses.
La
Moselle
Après une petite portion sur le territoire français, escale au Luxembourg (gasoil
bon marché) puis entrée en Allemagne.
Changement total d'environnement: après le chemin rural des Vosges, me voici sur
une grande route nationale allemande, large et rapide car, c'est la bonne nouvelle du jour, j'ai maintenant le courant avec moi et la vitesse de croisière s'en ressent: 5 km/h sur le Rhône dans
le meilleur des cas, 7 à 8 km/h sur le Canal des Vosges (pas de courant) et maintenant 10 à 12 km/h. Les distances quotidiennes en sont donc nettement allongées (environ 70
km).
Le cours d'eau est très sinueux avec des rives couvertes de vignobles aux
feuilles jaunes (on est fin octobre). Magnifique.
Le pont le plus majestueux de tout le trajet...
Le Rhin
A Coblence, la Moselle rejoint le Rhin et là aussi,
changement de décor:
Tout d'abord, le courant: comme on dit, il y
a du jus !
Et la vitesse s'en ressent: 15 km/h.
Les 200kms sur le Rhin seront avalés tout shuss en moins de 2 jours.
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Ensuite, le trafic: on peut le qualifier d'intense ce qui est un doux euphémisme.
Et c'est du lourd !
Les plus gros bateaux croisés font 200 m de long et près de 5000
tonnes.
En Allemagne, 25 % du trafic commercial se font par voie fluvial, ce qui n'est
pas rien.
Je me sentais un peu comme sur l'autoroute au volant de ma 2 CV au milieu des 40
tonnes. Sauf qu'il y a des données suplémentaires à intégrer: sur l'autoroute, les voies sont séparées et dans chaque voie, on double par la gauche ( en principe !). Mais là, pas de séparation
entre les montants et les avallants (c'est comme ça, a qu'on appelle ce qui descendent, ils vont vers l'aval), on peut dépasser à droite ou à gauche (en ce qui me concerne, il est plus juste de
dire que je me fais dépasser à droite ou à gauche car je suis de loin le plus lent).
En principe on se croise en restant à droite comme sur la route mais
parfois, en fonction des méandres et du courant, certains bateaux demandent à inverser la chose en arborant un carré bleu sur la droite au niveau de leur timonerie.
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Pas compliqué me direz vous, il faut juste ouvrir les yeux et s'écarter si
nécessaire. C'est vrai quand il y a peu de trafic.
Mais quand il y a 4 bateaux montants dont 2 arborent le carré bleu et pas
les 2 autres et qu'en plus il y a 4 avallants qui vont au moins 2 fois plus vite que moi, je fais quoi ? On peut pas mettre le clignotant à droite pour s'arrêter et attendre que la situation se
soit éclaircie parce que, d'abord il n'y a pas de parking, et en plus sur les 4 avallants il y a 2 qui déboulent sur ma droite. Le rapport de force n'étant vraiment pas en ma faveur, je le
rappelle, ben on se fait encore plus petit, on reste sur sa ligne et on fait confiance aux pilotes de ces hippopotames qui connaissent leur boulot mais l'adrénaline coule à flot quand même
(situation non fictive, réellement vécue).
Cette partie du Rhin sur laquelle je navigue, n'est pas la plus belle même si
elle traverse la belle ville de Cologne.
Elle traverse surtout la Ruhr, région très industrielle, et donc, pas vraiment envie d'y faire du tourisme.
Après ces 200 kms à fond les manettes, barre à tribord au niveau de Duisbourg et on continue sur les canaux.
L'écluse de Duisbourg, mis à part le fait qu'elle est la première que je
rencontre en Allemagne, est impressionnante par la longueur de son bassin: près de 400 m ! La différence de niveau n'est que 5 m. Il ne faut donc "que" 24000 m3 d'eau pour la remplir et faire
monter les bateaux.

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La suite sera une suite de long canaux sans courant (donc 7 à 8 km/h en fonction
du vent), ponctués par des écluses souvent monumentales, parfois rectilignes, parfois entre 2 talus qui empèchent de voir le paysage, passant près de grandes villes comme Hanovre, quelques
ports industriels, trafic toujours intense mais quand même moins stressant que sur le Rhin. Cependant cette navigation demande une attention quasi constante pour ne pas trop se rapprocher des
rives. Certes, le pilote automatique me permet de rester à l'intérieur quand j'en ai envie et de vaquer à quelques petites occupations, mais il faut un coup d'oeil sur "la route" toutes les 1 ou
2 minutes. Mine de rien, c'est quand même fatiguant au bout de 8 heures non stop.
Heureusement, même si les jours se suivent et se ressemblent, il y a toujours des choses à observer, des couleurs et des lumières à admirer, des canards avec qui discuter un moment et, lentement
mais sûrement, les kilomètres s'accumulent et je commence à me dire que les embruns salés sont pour bientôt.
Toujours bon de savoir qu'on est dans la bonne direction, même si on est pas
encore arrivé....
Vous avez déjà navigué sur un tapis de feuilles, au milieu des canards, vous
?
Bon, le problème avec les feuilles, c'est que ça bouche le filtre de l'aspiration
d'eau destinée au refroidissement du moteur et je dois nettoyer ce filtre 2 fois par jour. Sur le canal des Vosges où il y avait beaucoup de feuilles amassées dans les écluses, non seulement ça
bouchait le filtre mais un jour, quelque chose a réussi à passer et a détruit la turbine de la pompe à eau, provoquant une surchauffe du moteur. Heureusement, j'ai entendu l'alarme de
température. Il m'a fallu quand même 3 heures pour arranger le tout et remettre en route.
Je suis en général obligé chaque matin d'étudier le trajet du jour pour savoir où
je vais pouvoir m'arrêter pour la nuit. Eh oui, il me faut un parking de nuit, on est plus sur le petit canal des Vosges.
Souvent, je vise une écluse où il y a un toujours un ponton d'attente pour
l'éclusage.
Et parfois ça se termine dans le noir.

Donc, l'arrivée c'est pour bientôt mais avant ça, un des clous de cette traversée
continentale.
Vraiment un truc de dingue!
Figurez vous que j'ai pris l'ascenseur.
Ben oui, j'ai pris l'ascenseur comme tout le monde. Enfin presque...
Petit exercice pratique pour que vous imaginiez la chose:
Donc, tout d'abord vous prenez une bassine, la couleur n'a pas d'importance, assez grande pour mettre vos 2 pieds dedans. Si vous êtes 2, prenez une bassine plus grande, 4 pieds à caser.
Ok, vous sortez dans la rue et vous repérez un immeuble avec au moins 12 étages. Si vous êtes déjà dans un tel immeuble, pas besoin de sortir, ça fera l'affaire.
Vous montez au 12ème, à pied ça vous fera du bien mais c'est pas obligé pour l'expérience.
Là, vous sonnez à une porte sur ce palier, n'importe laquelle du moment qu'il y a quelqu'un qui ouvre.
Vous demandez si vous pouvez remplir votre bassine avec de l'eau. Chaude ou froide, c'est égal. Si la personne vous demande pourquoi, ne vous lancez pas dans des explications au sujet du copain
sur son bateau qui..... vous allez pas vous en sortir et vous n'aurez pas l'eau dans la bassine. Dites que c'est juste un truc de dingue et que ça n'a pas besoin d'explication.
Après avoir remercié la gentille personne, vous appelez l'ascenseur.
Avant d'entrer, vous posez la bassine par terre.
Là, vous avez un choix à faire: soit vous gardez vos chaussures, soit vous les enlevez. Dans un cas comme dans l'autre, vos pieds seront mouillés, pas grave, vous pouvez en profiter pour les
laver et puis de toute façon, ça sèche.
Bon, vos petits petons sont dans la bassine, alors appuyez sur le bouton 0 et là, miracle, ça descend.
ça vous a fait quel effet?
Ben moi, c'était pareil. Enfin presque....
Sauf que c'était le bateau qui était dans la bassine et moi dedans, les pieds au sec. J'ai quand même pas dépensé plein de sous pour avoir mon bateau, bossé 2000 heures pour qu'il puisse
naviguer, fait 2000 km sur les fleuves et canaux pour me mouiller les pieds dans un ascenseur !
Eh oui, j'ai descendu l'équivalent de 12 étages (38 m) avec le bateau dans un ascenseur à bateau.
Impressionnant !
Mis à part que j'ai attendu 2 heures pour avoir une place derrière une vieille péniche tchèque (les autres bateaux, plus grands ne me laissaient pas assez de longueur), ça se passe en à peine 10
minutes et tout en douceur.
La bassine fait 100 m de long sur 12 m de large (beaucoup de pieds à caser, 35 pour mon seul bateau qui est tout petit par rapport aux péniches) et 3,4 m de profondeur, soit plus de 4000 m3 d'eau
dans la bassine. Imaginez la taille des mécanismes pour descendre et monter de telles masses ?
Regardez les photos, c'est pas un truc de ouf ça ?
C'était la minute humoristico-culturo-technique.
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Vous avez vu depuis en haut, maintenant c'est 38 m plus
bas.
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Les pas de vis de l'installation (un de chaque côté) font près de 40 m de
long et 50 cm de diamètre. Dis, elle est comment la machine qui permet de fabriquer ça ?
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Et enfin, la voilà,
LA MER !!!!


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