Et voilà, c'est reparti après quelques mois d'immobilité dans le port de Svolvaer aux îles Lofoten.
Mis à part l'obscurité hivernale, pas très drôle il faut le reconnaître, j'ai beaucoup apprécié ce séjour
nettement au dessus du cercle polaire arctique. Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, les hivers n'y sont pas très rigoureux. Cet hiver a été particulièrement froid avec des températures
qui sont descendues ponctuellement jusqu'à -12°C. Il a fait combien chez vous, nettement plus au sud ?
Il a aussi beaucoup neigé par rapport aux années précédentes, pas de problème pour moi, j'adore ça les
paysages enneigés. Connaissez-vous quelque chose de plus délicat et silencieux qu'un gros flocon blanc qui se pose sur l'eau sombre de la mer endormie ?
Avril venu, pas question de se découvrir d'un fil mais les amarres sont dégelées et elles peuvent être
larguées du ponton.
Il est temps d'aller dire au revoir à tous ces gens rencontrés et qui ont habités mon séjour. Ça pince un peu
le coeur mais c'est comme ça, le sud m'appelle.
La première journée sera un peu dure pour une reprise, 60 milles (environ 100 km) avec un joli vent portant
mais surtout une mer croisée avec les reliefs du coup de vent de la veille.
Résultat, j'ai rapidement et généreusement offert mon petit déjeuner à peine prédigéré aux poissons du fjord.
Nul doute qu'ils ont dû apprécier la banane et le muesli au yaourt à la cerise.
Ça fait bien longtemps que ça ne m'était pas arrivé...
Sinon cette première journée s'est bien passée, 6 noeuds de moyenne, pas mal.
Quelques jours d'arrêt à Bodö et la descente sud ouest continue entre les calmes plats, les coups de vent,
les averses de neige, les grains de pluie tout en slalomant pour éviter les promesses désagréables de gros nuages noirs. Et je prends un ris puis deux, pointes de vitesse à plus de huit noeuds,
véritable plaisir, puis je remets toute la voile pour cinq minutes, en reprendre deux quand ce n'est pas trois, je roule puis déroule le génois, je sors la trinquette, tiens, plus de vent,
comme par hasard. Je renvoie tout, ce qui fait, bien entendu, revenir le vent, trop fort, bien sûr. On ne s'ennuie pas sur un bateau, vous savez.
Le lendemain, le menu est très différent, faudrait pas se lasser quand même, c'est moteur tout la journée et
Baltic, qui a horreur de ça, passe sa journée à dormir sous la housse de grand voile.
C'est ça la navigation à la voile, soit pas assez de vent, soit trop. Heureusement que je sais ça depuis
longtemps et que je l'accepte, ça évite de vivre dans une frustration continuelle et de se dire que finalement passer la tondeuse sur son carré de gazon, ça doit pas être si mal.
Mais la tondeuse on ne la passe pas si il pleut, pas le dimanche à cause des voisins, c'est pénible si il
fait trop chaud, c'est un éternel recommencement.
Tout compte fait, je préfère labourer la surface de la mer, même si c'est poussé par le moteur, ou rester
coincé dans un port ou même me faire secouer sur la crête des vagues, et sans frustration.
Je suis plus ou moins la route du Hurtigrutten, l'Express côtier qui relie tous les jours Bergen (au sud du
pays) à Kirkenes (tout au nord, à la frontière russe), une véritable institution en Norvège, et je croise régulièrement un de ces navires.
Les paysages ont changé progressivement et les sommets alentours ont perdu la majesté des pics des Lofoten.
Les îles sont maintenant parfois boisées, parfois c'est seulement du rocher nu.
A la latitude 66°33.39'N, j'ai recroisé le cercle polaire arctique et un monument sur un îlot rocheux le
signale. Peu de monde sur l'eau, les rencontres sont assez rares.
Je constate que la température peut être une notion très relative. Qui, dans le sud de l'Europe, aurait
l'idée de naviguer quand le thermomètre annonce deux petits degrés ? Même pas moi.
Ici, 2°C le matin, et même pendant la journée, pas de problème si on est bien équipé, bien sûr, tshirt,
short et tongs ce sera pour plus tard. Je me surprends même à ne pas porter de gants pour manoeuvrer...
Par contre, certains jours, 7°C et je n'arrive pas à me réchauffer. Allez comprendre...
Toujours sous la main, au choix en fonction de la température, de l'humidité et de ce qu'il y a à faire.
Et combien de fois par jour ai-je une pensée pour tous ceux qui sont obligés de rester dehors pour naviguer
parce qu'ils ne peuvent rien voir à l'extérieur quand ils sont à l'intérieur du bateau?
Deux jours d'escale à Trondheim, la troisième ville de Norvège et c'est là que je prends vraiment conscience que j'ai quitté le grand nord.
Je retrouve la soit-disant civilisation avec ses attributs attirants pour certains, attributs de pacotille
pour moi: grosses voitures, magasins qui ferment entre 18 et 19h (16h dans le nord), sauf les supermarchés qui jouent les prolongations jusqu'à 23h, mendiants dans les rues, caméras de
vidéosurveillance omniprésentes (dormez tranquille braves gens...), containers à poubelles cadenassés (je ne sais pas si c'est pour qu'on y mette rien dedans ou au contraire pour ne pas qu'on y
récupère des choses). Et je ferme à clé le bateau quand je m'en éloigne un peu...
Lofoten nostalgie...
Par contre, je retrouve de merveilleux mouillages dans des petites criques bien protégées, domaines du calme
et du silence. Même Baltic semble rêveuse dans ces lieux.
Finalement, en avançant à la vitesse ébouriffante d'environ 10 km/h, on fait quand même du chemin et je suis
ce soir à Kristiansund, c'est à dire que j'ai déjà parcouru plus de 500 milles nautiques soit plus de 900 km.
La suite sera moins rapide en direction du sud car je vais très prochainement arriver dans la région des
fjords. Certes, j'ai déjà vu pas mal de fjords mais ceux qui vont se présenter devant l'étrave de VoLuMondu sont l'image que nous avons tous de la Norvège, ces vallées marines très encaissées qui
s'insinuent sur des dizaines voire des centaines de kilomètres à l'intérieur des terres.
Mais ça c'est une autre histoire pas encore vécue.
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