Le temps passe tellement vite…
Déjà deux semaines depuis mon départ et me voilà arrivé à l’escale prévue, Las Palmas sur l’île de Gran
Canaria.
Avant de vous faire un petit résumé sur ce trajet maritime, un petit mot pour remercier tous ceux qui m’ont
envoyé un commentaire sur le blog après la parution de l‘article sur mon départ. Je les ai trouvés aujourd’hui en arrivant et ça m’a fait très très plaisir. Je retrouve mes habituées fidèles de
longue date, Françoise, Pascale, Marie, et aussi mes nouvelles chouettes voisines périgourdines, Nadine et Caty, et je n’oublie bien sûr pas tous les autres. 1000 mercis à tous et toutes.
Donc petit résumé de ces quatorze jours en mer. C’est mon plus long trajet en distance (1468 milles
nautiques, soit 2720 kms) mais c’est un jour de moins que mon retour laborieux des Açores l’année dernière. Autant celui-ci m’avait paru interminable du fait du manque de coopération
persistant d’Eole, autant celui-là a passé relativement vite, surtout la première semaine avec des vents parfaits en force et direction. La deuxième semaine, c’est une autre histoire.
Jour 1 : Pas de vent, c’était prévu, mais apparemment, d’après les prévisions météo, le bon moment pour
partir traverser ce Golfe de Gascogne que les navigateurs n’apprécient pas vraiment tellement il peut être mauvais quand une dépression qui vient de traverser tout l’océan vous tombe dessus. J’en
ai eu un sérieux aperçu l’année dernière et, non merci, je ne tiens pas, mais alors pas du tout à me resservir de ce plat-là. Sortie de l’estuaire de la Gironde avec la marée descendante, mais la
rencontre du courant qui m’emporte vers le large avec la houle qui rencontre les hauts fonds sablonneux fait que je me retrouve à naviguer dans une grande marmite qui bouillonne et Vo Lu
Mondu se met à danser sur un drôle de tempo, pas très académique, je pense, et… nooon, j’veux pas être malade, pas déjà, pas tout de suite, je ne suis même pas encore vraiment en mer, l’eau doit
être encore un peu douce (bon, c’est vrai que je suis à la base un marin d’eau douce), je sais que je vais avoir le mal de mer tôt ou tard, mais là c’est vraiment trop tôt. Et… les poissons ont
été déçus, ils me suivaient déjà les charognards, je ne leur ai pas donné mon déjeuner en cours de digestion.
Bon, je suis resté un peu vaseux trois ou quatre jours mais, non, je n’ai pas été malade. Je ne m’en plains
bien sûr pas comme vous pouvez imaginer.
La première nuit a été assez magique, bienvenu au paradis des navigateurs (mis à part le manque de
vent) : surface océanique absolument sans le moindre relief, un ciel incroyablement étoilé comme je n’en avais jamais vu sous nos latitudes, navigation sous une coupole de
milliers de diamants scintillant de tous leurs éclats, plein les mirettes…, et dans le sillage du bateau, comme sortant de sous la carène, du plancton phosphorescent qui faisait ressembler
mon bateau à une comète avec son panache étincelant. (j’écrit comète et pas étoile filante parce qu’il faut bien rester réaliste, Vo Lu Mondu est un bon bateau mais de là à prétendre qu’il
« file »… Vous trouvez pas que comète ça donne une impression de moins rapide ?)
Jour 2 : Une chose que je ne m’explique pas : alors que je suis la plupart du temps dans le
bateau, pourquoi faut-il qu’à un certain moment je sorte alors que la marche du bateau ne me le demande pas et que c’est précisément à cet instant qu’apparait un aileron fendant la surface
bleu marine à quelque distance du bateau? Cette fois pas de doute, vu la forme arrondie de l’aileron, c’est un globicéphale. Et quelques minutes plus tard ils seront une dizaine à nous
accompagner Vo Lu Mondu et moi. Le « phénomène » se reproduira quelques jours plus tard avec des dauphins.

Bon, il y a peut-être des tas d’autres fois où je ne sors pas alors que je suis entouré de baleines et autres
cachalots… ça me rappelle une fois, en Suède, où je suis sorti parce que je me suis senti comme observé et de me rendre compte que le bateau passait à environ cinq mètres d’un phoque qui me
regardait passer comme l’aurait fait une vache avec un train.
Autre visite en ce deuxième jour alors que je suis à 250 kms des côtes, un petit oiseau, à peine
plus gros qu’une mésange, posé là, sur la capote, aussi surpris que moi lorsque nos regards se sont croisés. Il a trouvé sur ce perchoir flottant un support pour se reposer et quelques
grains de riz à se mettre sous le bec puis à fini par reprendre les airs ce qui est, avouez-le, une place plus naturelle pour ce genre d’animal. J’aurais bien aimé qu’il reste plus longtemps, ça
a du bon la compagnie… Quelques jours plus tard j’aurai également la visite d’un de ses congénères mais celui-là a visité l’intérieur du bateau. Peut-être était-ce le même…

Jour 4 : Une nuit sans vent, bien dormi. Au matin, un vent de force 3-4, une mer totalement désordonnée,
inconfort maxi et toujours pas malade. Je suis content et soulagé, je suis sorti du golfe de Gascogne, il m’ a laissé passé tout tranquillement avec des bonnes conditions de vent. C’était
vraiment la bonne fenêtre météo par laquelle je me suis glissé.
Jour 5 : Nuit pas top, je suis à la pointe nord-ouest de l’Espagne, il y a beaucoup de trafic, et du
gros : cargos, tankers, etc… Faut que les surveille, je leur laisse toutes priorités, la loi du plus fort.
Mauvaise nouvelle ce matin, j’ai fouillé dans tous les coffres, je n’ai que trois boites d’ananas, la
cata ! Trois boites pour deux semaines, sûr que le syndrome de manque va me guetter. Faut vous dire que, contrairement à la moitié de la population mondiale, je ne suis pas né dans un chou
mais dans un plan d’ananas. Probablement parce qu’en Côte d’Ivoire ça pousse mieux que les choux. Trois boites !!! Faudra faire avec, se rationner et faire des choix : pamplemousses
(ils se conservent longtemps mais je n’en ai pas tant que ça) ou ananas mais pas les deux le même jour. Même pas drôle… Bon, pour compenser, ce soir je vais regarder deux films de suite.
Jour 6 : Coup de vent en court, force 6 à 7 et creux de 4 à 5 mètres, Vo Lu Mondu se comporte très
bien au vent arrière sous grand voile à trois ris et foc roulé au trois quart et tangoné. Le bateau laisse un joli sillage d’écume en surfant sur les vagues avec des pointes à plus de 10
nœuds.
Quand le vent sera établi à 35 nœuds, grand voile affalée complètement et j’avance juste avec la trinquette.
Je suis à ce moment au niveau de Porto. J’ai regardé ce soir Indiana Jones, besoin de distraction dans ces conditions de navigations qui sont toujours un peu stressantes. Je venais juste de
m’endormir profondément quand j’ai eu un réveil pour le moins brutal et éminemment désagréable : vu que pas mal de vagues passaient sur le bateau, j’avais bien sûr fermé tous les hublots et
les aérateurs, histoire de rester au sec. Tous les aérateurs ? Non, tous sauf deux, qui se trouvent très bien protégés dans les hiloires du cockpit, jamais une goutte d’eau n’est entrée par
là. Bref, je dormais très bien et j’ai reçu de manière plus que soudaine un bon litre d’eau en plein sur la tête. Pas 10 cm à droite ou à gauche, non, en pleine poire !!! Trempé, fraîche et
salée, d’autant plus qu’elle était totalement inattendue. J’ai fini la nuit sur la banquette, sèche celle-là. Pas dormi pour autant, un peu secoué aussi par la douche non désirée et les vagues
totalement désordonnées qui secouaient le bateau.
Jour 7 : Le vent et la mer ont fini par se fatiguer un peu et ont donc bien baisser d’intensité, pas
plus mal. Deuxième bonne nouvelle du jour, j’ai retrouvé une boite d’ananas, entre les petits pois carotte et le maïs.
En fin de journée, Eole et Thalassa se reposent, donc le moteur prend la relève si je veux quand même
poursuivre ma route.
Jour 8 : A 3 heures, réveillé par une alarme sonore inhabituelle que je n’arrive pas à identifier sur
l’instant. Je bondis de la couchette quand je réalise que c’est celle de température du moteur. Je le stoppe immédiatement le diagnostique est vite fait : rotor de pompe à eau H.S.
Comme la mer est parfaitement calme (qui sait comment elle sera demain ?), je sors la trousse à outils en pleine nuit pour réparer. J’ai la pièce de rechange donc il n’y qu’à s’y mettre. A 5
heures le moteur se réveille et moi je m’endors.
Il me semble que j’ai trouvé mon rythme de vie après une semaine. J’ai retrouvé de l’appétit et donc je
cuisine plus, même si probablement mes préparations restent du niveau école préparatoire de la première année d’école hôtelière et encore en beaucoup moins académique, voire pas académique du
tout. Mais au moins j’apprécie ce que je cuisine et ça nourrit le bonhomme, ce qui au fond est quand même le but de la chose.
Pour la nourriture comme pour le sommeil, c’est quand le besoin s’en fait sentir et pas en fonction de
l’heure. Au fait quelle heure est-il ? "7 heures du matin peut être. Je n'ai plus l'heure et je m'en moque." Paul-Emile Victor. J’en suis à ce point-là. De plus, c’est l’avantage du solitaire, vivre dans le présent, dans l’instant, le seul futur est un futur à
court terme, les 24h du bulletin météo. Après, c’est après, je verrai bien…
Mon réveil, mon ordinateur et mes instruments électroniques sont restés à l’heure « de chez nous ».
Comme je suis déjà bien à l’ouest (au sens premier, je précise ; Quoique…) il fait nuit plus tard et jour plus tard aussi ce qui fait que l’heure n’a plus beaucoup de sens. Mon ordinateur
s’est décalé d’une heure, on est passé à l’heure d’hiver ? J’en sais rien et de toute façon je ne vais pas vers l’hiver, je vais au chaud. Alors heure d’hiver, heure légale ou UTC, ça m’est
complètement égal et mon réveil me sert uniquement pour me réveiller (noooon, pas possible !) et pour savoir quand mes pommes de terre sont cuites.
De toutes façons, le temps s’écoule comme l’eau sous la coque de Vo Lu Mondu, les jours passent et je me
rapproche de l’escale.
Mon rasoir électrique a disparu dans la tempête, impossible de le retrouver et ce n’est pas faute d’avoir
chercher même dans les endroits les plus improbables. Si j’avais un frigo je serais allé jusqu’à regarder dedans au cas où… Bon, ça m’a permis de voir que j’avais des rasoirs à main, je
serai donc à peu près présentable pour les formalités à l’arrivée au premier port.
Jour 10 : Dîner spectacle en terrasse ce soir. Alors que je préparais mon repas, comme pour les
globicéphales, quelque chose m’appeler dehors et j’ai vu un dauphin traverser la surface bleu acier de l’océan pour effectuer un formidable saut avec comme un temps d’arrêt au sommet de sa
parabole, marionnette suspendue à son fil. Magnifique ! Et il en rajoute une couche.
Il est rapidement rejoint par quelques uns de ses semblables et, comme souvent pour ne pas dire toujours ils
se sont donnés rendez-vous juste devant l’étrave pour zigzaguer devant le bateau. Après être retourné à mes préparations culinaires, repas en terrasse comme annoncé pour admirer les évolutions
des ces animaux fabuleux, ils sont maintenant un trentaine à tourner autour du bateau. Ce sont des dauphins tachetés, surtout des jeunes qui ont la singulière particularité de ne pas avoir de
taches… En fait les taches apparaissent avec l’âge et seuls les adultes en sont pourvus. J’ai fini mon repas dans l’obscurité, sous la pluie, trempé, les organisateurs n’avaient pas tout prévu.
Le menu du soir ? Je ne sais plus, je me rappelle seulement que les dernières bouchées étaient froides mais l’important était ailleurs.

Jour 11 : Pas de vent. No comment !
Jour 12 : Mon cap idéal est au 205, sud sud ouest. Et le vent il vient d’où ? Que celui ou
celle qui a dit 205 lève la main. Bingo ! C’est gagné. Conséquence, faut aller contre le vent, au près ce qui n’est jamais réjouissant. Comme on ne peut pas aller directement face au vent,
il faut tirer des bords et on dit que ça donne 2 fois la distance à faire et trois fois le temps. Ok, ça c’est peut-être à peu près valable avec une embarcation qui remonte bien au vent mais pas
avec ce type de bateau de voyage avec peu de tirant d’eau et surtout très large (Vo Lu Mondu fait 4 mètres de large), surtout quand le vent prend des tours pour arriver bientôt aux 30 nœuds. Le
résultat ? Je navigue vite mais très loin de l’axe du vent (environ 60° d’écart), je fais pas mal de chemin pour ne pratiquement rien gagner vers le but. Sans parler de l’inconfort parce que
qui dit 30 nœuds de vent dit vagues en conséquence. Donc chaque mille gagné dans la bonne direction est tout à la fois un pensum et une victoire, mais surtout un pensum. Au bout de quelques
heures à ce régime indigeste, je craque, enroule foc et trinquette et mets le moteur, cap au 205 (youpiiiie !!!), j’avance à 2 nœuds mais dans la bonne direction. Pas rapide du tout mais
c’est tout bénef.
Jour 13 : Le vent a disparu et, pour une fois, je ne m’en plains pas du tout. Le pilote automatique fait
une fixation sur le 205, tant mieux, et ni vent ni vagues la vitesse s’en ressent , 4 nœuds, je ne cherche pas aller plus vite, le moteur tourne à bas régime et consomme peu. Et je viens de
détecter une fuite à la pompe à eau du moteur, pas très importante mais il faudra régler le problème à l’escale.
Jour 14 et dernier jour : arrivé à 11h30 après avoir ralenti pendant la nuit pour arriver près de l’île
Gran Canaria avec la lumière du jour. Toujours délicat d’arriver dans la pénombre, on ne voit pas trop où on met les pieds du bateau. Au matin les nuages sont très bas et je ne vois aucun des
hauts pics volcaniques caractéristiques de ces îles, Tenerife, Lanzarote, Fuerteventura.
Bien content d’être arrivé, mon plus grand voyage, et deux envies : une douche et dormir.
© Marc Perrussel
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