Ces deux jours d'escale imprévue à Mindelo, archipel du Cap Vert, nous ont permis de refaire les pleins d'eau
et de gasoil, tout le monde aura ainsi sa part de liquide pour la traversée, en espérant que le moteur n'aura pas trop besoin d'être abreuvé. Je me méfie cependant vu le contentieux tenace et
durable que j'entretiens avec Eole...
La durée de cet arrêt a été très courte, cependant elle nous a permis d'avoir un tout petit aperçu de ce
monde à part que constituent ces quelques îles pelées au large de l'Afrique. Monde à part pour moi parce que je ne saurais où le placer, ce n'est pas l'Afrique même si certains côtés pourraient
le faire penser, ça n'a rien à voir avec l'Europe alors qu'on pourrait à priori penser y trouver des traits communs avec le Portugal dont l'archipel était une possession. Même la langue est
différente, mélange de portugais et de créole.
On ne peut pas dire que Mindelo, deuxième ville du pays, donne une impression de richesse, même le marché ne
croule pas sous la variété des produits, fruits et légumes. Absolument rien à voir avec l'opulence de celui de Las Palmas.
Peu de touristes ici, il faut aller sur d'autres îles, Teneriffe, Lanzarote ou Fuerteventura pour les
rencontrer. Pas de belle plage sur São Vicente...
A Mindelo, les touristes, c'est nous, les gens de bateau, de passage sur la route du Brésil ou des Caraïbes.
Résultat, depuis quelques années il y a une marina à Mindelo, fort contraste avec le niveau de vie apparent de l'île. La marina est gérée par des européens pour principalement des clients
européens avec des tarifs (en euros) au niveau européen. Et business is business ! Exemple, 4 € par 24h pour pouvoir attacher son annexe à un ponton si on est au mouillage dans la baie. Il y a
effectivement un excellent mouillage juste devant la marina en question. Et gratuit ! Alors pourquoi se mettre à une place chère au ponton pour en plus se faire bien secouer car à cet endroit il
y a un fort ressac ? Non, on est bien mieux un peu au large, le bateau accroché à son ancre.
Les fichiers météo indiquent que les alizés sont bien établis ce qui est une bonne nouvelle pour tous ces
oiseaux migrateurs en route vers l'ouest.
Départ en milieu de journée en même temps que deux autres bateaux beaucoup plus rapides que Vo Lu Mondu, ils
disparaîtront très rapidement avalés par la ligne d'horizon.
Au crépuscule, petit cérémonial d'adieu de la bande de dauphins qui nous avaient accueillis à notre arrivée.
Apparemment, c'est le même groupe, nous reconnaissons l'un d'eux qui a une cicatrice bien visible. Après une très jolie figure de l'un d'entre eux en signe de « bon voyage », ils
s'éclipseront tous en même temps. La voie vers le couchant nous est désormais ouverte.

Peu après la tombée de la nuit, le vent s'évanouit presque complètement, nous avançons à moins de deux nœuds
et surtout, comme il y a un clapot assez conséquent, le bateau roule d'un bord sur l'autre ce qui provoque des claquements très violents de la grand voile, le bateau en tremble du haut du mât
jusqu'aux saumons des quilles. A chaque fois, c'est comme si on me donnait un très fort coup de poing dans le ventre, je le ressens vraiment physiquement. Insupportable !
Deux solutions possibles : affaler la voile, ce qui nous condamne à nous arrêter et être encore plus secoués,
ou avancer au moteur.
La première solution serait quasiment inacceptable pour moi, j'ai déjà vécu trop de moments sans vent,
j'aurais l'impression de vivre un début de cauchemar avec une traversée de plus de deux mille milles qui pourrait durer une éternité.
La deuxième solution paraît tout aussi insupportable pour Véronique qui a une sainte horreur du bruit du
moteur.
Je suis vraiment face à un dilemme pendant un moment, je me dis à ce moment-là que la navigation en solitaire
facilite parfois la prise de décision...
Et puis un coup de poing de plus dans le ventre me fait tourner la clé libératrice. Quelques heures plus
tard, nous avons un peu avancé, j'ai bien dormi, Véronique beaucoup moins, le vent est revenu,
je tourne la clé dans l'autre sens, le silence se fait; les voiles nous déhalent sur le bon cap.
J'écris ces lignes une semaine après le départ et depuis le moteur n'a tourné que deux fois pour recharger
les batteries, au grand dam de Véro qui aimerait bien que le panneau solaire et l'éolienne soient plus productifs. Mais bon, c'est comme ça, on fait avec ce qu'on a.
7ème jour.
Les alizés sont bien présents et même assez puissants, jusqu'à 30 nœuds par moment, et la grand voile est le
plus souvent sous un à deux ris. Nous avançons bien, toujours au vent arrière, dans la bonne direction. Cent quarante cinq milles ces dernières vingt quatre heures, un peu plus de six nœuds de
moyenne. Magnifique ! La mer est par moment agitée avec une houle de trois à quatre mètres mais cela ne pose aucun problème. L'inconfort vient principalement du fait qu'il y a parfois, assez
souvent, des vagues croisées qui nous secouent un peu dans tous les sens. Heureusement les formes et le poids du bateau font que celui-ci a des mouvements assez doux.
Nous passons l'un et l'autre nos journées à lire ou à naviguer dans nos pensées, Véronique presque toujours
dehors et moi la plupart du temps à l'intérieur. Nous parlons peu, surtout au moment des repas. C'est quasiment une navigation de deux solitaires sur un même bateau. L'avantage que je trouve à
cette navigation en duo c'est que je peux dormir plus longtemps, mon sommeil est moins fractionné, même si il n'est jamais profond, toujours à l'affût et à l'interprétation des bruits
environnants, prêt à passer en un instant de la couchette au cockpit ou sur le pont pour une manœuvre urgente si nécessaire, comme la nuit dernière où j'ai entendu un poisson volant s'échouer sur
le pont et je me suis levé pour le remettre dans ses éléments naturels, eau et air. Ils n'ont pas tous cette chance et chaque matin il y en a trois ou quatre desséchés sur le pont. Trop petits
pour être incorporés à nos repas. Ah si, il y en un autre qui s'en est bien tiré : il est passé par un hublot et a « atterri » sur mes jambes pendant que je dormais. Ça m'a réveillé
bien sûr et je lui ai prestement montré le chemin inverse après lui avoir expliqué qu'on ne rentrait pas chez les gens comme ça sans y être invité, en pleine nuit, par la fenêtre en plus, et sans
même avoir le correction de taper à la porte.
8ème jour
La nuit a été bonne, bien dormi.
Bon, aujourd'hui, j'ouvre la boulangerie, il va y avoir de l'eau à la bouche des occupants du bateau d'ici un
bon moment. A chaque fois que je plonge les mains dans la farine, j'envoie mentalement tous mes remerciements à Gilbert, boulanger du côté de Dax , qui m' a fait profiter d'une partie de
son expérience en me dévoilant quelques petits trucs. Le tour de main qu'il ma appris, et que j'avais scrupuleusement noté, nous permet d'avoir régulièrement une belle miche de pain frais et
savoureux. C'est nettement plus de travail qu'avec une machine à pain (que je n'ai pas dans le bateau) mais le résultat est incomparable. Merci Gilbert, ton mirliton ne se débrouille pas trop
mal. J'en profite pour te saluer.
9éme jour
Jour important car nous venons de passer du stade du « déjà » au « plus
que », c'est à dire que nous avons déjà parcouru mille cinquante milles et qu'il ne nous reste plus que mille cinquante milles à parcourir. Alors que jusqu'à
maintenant on s'éloignait de l'archipel du Cap Vert, maintenant nous nous rapprochons des Antilles. Le hic c'est que nous venons de passer ce seuil... au moteur. Les alizés ont disparus, se sont
évanouis. Plus rien, plus le moindre reste de petit zéphyr. Vo Lu Mondu se dandine très mollement sur des petites collines de liquides à l'aspect visqueux, une mer d'huile qu'ils appellent
ça.
Combien de temps cela va-t-il durer ?
De plus il commence à faire chaud, plus de 30° à l'extérieur et un peu moins à l'intérieur de la
coque.
Petit arrêt baignade. Température de l'eau : 25°
Nous avons aussi atteint le stade du « plus de ». A part des oranges, des citrons, des
pommes de terre et des oignons, plus de légumes et de fruits frais. Les dernières bananes vraiment trop mûres sont allées régaler les poissons volants qui s'enfuient à tire d'ailes à
notre approche. Est-ce que les poissons volants aiment les bananes ? Telle est la question...
Ah si, il reste la courge achetée à Bordeaux avant de partir. Je comptais la consommer sur la route des
Canaries, ce que je n'ai pas fait finalement. Elle est entière et toujours intacte. Il va bien falloir se résoudre à manger cet aliment actuellement de saison en France mais plus vraiment sous
ces latitudes tropicales.
On va essayer de faire preuve d'imagination pour reporter Halloween en période estivale.
11ème jour
Au menu du jour, blues (pas la musique), spleen, mélancolie et déprime. Eh oui, ras le bol généralisé en ce
qui me concerne.
La cause de tout ça ? Ce n'est pas nouveau pour moi, c'est le moins que je puisse dire, le manque de
vent.
Après environ quarante heures de moteur, un petit alizé asthmatique s'est réveillé et nous propulse, si je
peux dire, à la vitesse ébouriffante de trois nœuds à trois nœuds et demi. Le grand génois léger que j'ai rajouté cette année à la garde robe du bateau fait ce qu'il peut mais il ne peut
fabriquer du vent. Le prochain achat sera un énorme ventilateur !!! De plus, il y a une houle qui nous arrive par le travers et le bateau roule d'un bord sur l'autre ce qui est pour le moins
désagréable et inconfortable au possible. Et comme le vent n'appuie pas suffisamment sur la grand voile, à chaque coup de roulis celle-ci claque violemment en secouant le gréement dans son
entier, je souffre physiquement pour lui à chaque fois. Plaisir niveau en dessous de zéro.
Il nous reste encore un peu moins de neuf cent milles à parcourir et, si la situation reste stable, il nous
faudra encore onze à douze jours de mer avant d'apercevoir notre but la Martinique. Une telle perspective, bien évidemment, ne fait rien pour améliorer mon état moral du jour.
Et, comme lors de mes navigations passées, je me dis : « Pourquoi cette persistance de manque de vent,
élément indispensable pour nourrir les ailes de Vo Lu Mondu, élément indispensable pour la satisfaction des navigateurs ? Pourquoi ? »
Bien sûr, tout le monde rencontre des périodes de calmes plus ou moins plat, mais quand j'évoque à quel point
je suis soumis à ce phénomène, personne, absolument personne n'imagine que ça soit possible. Et immanquablement, on me demande quand je pars pour ne surtout pas y aller au même moment.
Finalement, je pense que je commence à faire une vraie fixation là-dessus. Va falloir faire quelque chose
pour changer ça, à défaut de gros ventilateur.
En fait, je me rendrai compte deux jour plus tard que l'autre cause importante de ce coup au moral est que,
une fois passée la mi-course, je me suis mis à penser à l'arrivée. Et comme je trouve que ça ne passe pas bien vite et que la route est encore bien longue, ce n'est pas top pour voir la vie
en rose.
J'essaie de changer cet état d'esprit et de me dire que l'important c'est maintenant, c'est le chemin et pas
le but. Celui-là, il sera au bout de ce chemin. Ça aide bien finalement de voir les choses de cette manière-là.
La douche tropicale.
Un coup d'œil derrière le bateau comme souvent et cette fois je vois arriver un troupeau de blancs moutons
(dommage, pas de bergère) détalant ventre à mer sur une surface liquide de plus en plus noire de seconde en seconde. La cause de cette débâcle ? Un énorme nuage libérant un très sombre et très
épais rideau de pluie. Dans peu de temps nous serons drapés, enturbannés, emmitouflés dedans. Vite, réduire la toile, un ris puis deux dans la grand voile, enrouler un peu le foc, et, barre en
main pour contrôler la trajectoire du bateau propulsé par cette rafale aussi soudaine que puissante, je me retrouve trempé, dégoulinant de cette eau céleste, fraîche aux premières gouttes,
et les premières furent très nombreuses, puis rafraîchissante ensuite puis tellement douce et agréable alors que nous baignons dans une touffeur par moment un peu pesante (près de trente degrés
et plus de quatre vingt pour cent de taux d'humidité).
Une fois le bateau stabilisé, c'est LE moment, shampoing et savon de Marseille et à poil sur le pont pour la
meilleure douche qu'il m'ait été donné de prendre. Se savonner sous des douces hallebardes puis évacuer toute la mousse sous la véritable cataracte de l'eau collectée par la grand voile. Hmmm!
C'est bon. L'impression d'avoir nettoyé un tas de choses en plus du corps...
Atelier voilerie au matin du douzième jour.
Lors de mon coup d'œil matinal au bateau, j'ai vu un problème sur le génois qui nous a vaillamment tiré cette
nuit. Une sangle de renfort au point d'amure est coupée et le plus embêtant c'est qu'il n'est plus possible d'enrouler la voile.
Nous l'affalons donc, à la manière traditionnelle, c'est à dire comme on peut quand il y a un peu de vent,
disons légèrement en chiffon puis elle est enfournée sur la couchette avant par le panneau de pont.
Inspection de la chose : à l'évidence un défaut de fabrication, un sertissage métallique au bord coupant a
sectionné la sangle.
Donc un coup de lime pour adoucir l'agresseur puis déballage de la trousse de voilerie du bord : paumelle,
poinçon, grosses aiguilles extraites de leur étui suiffé pour éviter la rouille et deux fils de diamètres différents. Et au boulot pour un bon petit moment... Résultat tout à fait satisfaisant à
mon avis, il ne devrait plus y avoir de souci de ce côté-là.
Aujourd'hui voilier, hier bricoleur mécanique pour renforcer la poignée du moteur de l'annexe qui est à
moitié cassée. On ne manque pas d'activité diverses et variées sur un bateau.
Rencontres
Alarme des instruments pour signaler un intrus dans notre bulle de sécurité. Un voilier nous rattrape assez
vite, probablement un catamaran. Je vois ses feux de navigation en haut du mât qui a l'air bien grand. Il est encore assez loin, deux milles, mais il nous vient droit dessus à dix nœuds. Je
l'appelle plusieurs fois à la VHF, sans réponse. A surveiller sérieusement donc si il personne ne veille.
Quand il est environ à un mille, c'est lui qui m'appelle, il me confirme qu'il nous a bien vu, il change sa
course de quelques degrés pour assurer un croisement de route en sécurité. C'est grand un océan et pourtant nos deux bateaux auraient pu se trouver exactement au même endroit au même moment. Boum
! Le choc, pas forcément glouglou mais de la casse certainement. Comme s'il n'y avait pas assez de place dans cette grande piscine. A-t-on plus de chances de gagner au Loto que de risques de
collision au milieu d'un océan hors de toute route de trafic maritime ? Je n'en sais rien mais statistiquement parlant, il semblerait que l'un et l'autre soient possibles, sauf que dans un cas,
bingo, on gagne et dans l'autre rien à gagner, tout à perdre.
C'était bien un catamaran français, en route pour les Antilles. Pas désagréable une petite discussion en
pleine nuit. J'en profite pour demander les dernières prévisions météo.
Nouvel événement du même ordre la nuit dernière. L'AIS, cet appareil électronique de prévention des
collisions a encore fait merveille. Quand j'avais eu connaissance de ce système lorsque j'étais en Suède, j'ai demandé à mon ami Jonas, qui en disposait d'un, ce qu'il en pensait, sa réponse a
été : « c'est vraiment une assurance vie bon marché ». Tout était dit.
Donc cette nuit, le bi bi bip répétitif retentit pour avertir d'une intrusion dans notre espace de sécurité
de six milles de diamètre autour du bateau. Effectivement, un cargo, dont la deuxième partie du nom est « bonheur », à destination de Singapour, (l'appareil nous donne ce genre de
détails, y compris son cap, sa vitesse, à quelle distance il se trouve, et surtout à quelle distance ou proximité plutôt nous allons nous croiser et dans combien de temps. En l'occurrence, pour
cette fois, ce n'est même plus de proximité dont on peut parler mais plutôt de collé-serré. Les deux bateaux semblent avoir une très forte affinité l'un pour l'autre.
Il est encore assez loin et j'ai l'intention de l'appeler à la radio pour vérifier que son AIS et son radar
nous ont bien repérés. Je n'aurai pas besoin de le faire car je constate sur mon écran qu'il a modifié son cap de 10° pour nous éviter. Il passera 200m derrière nous puis reprendra sa course
initiale.
Il était gros, très gros, surtout vu à si courte distance.
Une nouvelle fois, je n'en finis pas de m'étonner de ces rencontres potentiellement catastrophiques au milieu
d'un océan. Nous ne sommes pas dans le rail d'Ouessant ou en Manche où se croisent chaque jour des centaines de cargos, porte-conteneurs, tankers et autres minéraliers, nous sommes dans une
région de la planète qui est un véritable désert. Comment envisager qu'à un instant précis deux embarcations puissent se trouver exactement en même temps à un endroit tout aussi précis alors
qu'il est fort probable que jusqu'alors personne n'est jamais passé très précisément sur ce point du globe ? Il faudra que je rencontre un jour un statisticien pour lui exposer le
problème.
Mais quand même, que cela se présente deux fois en trois jours, je trouve ça totalement incroyable. Ça me
donne finalement l'idée que je devrait peut-être jouer au Loto. On ne sait jamais avec les probabilités, fortes ou faibles...
Moralité, je continuerai donc à n'avoir qu'un sommeil delphinien, un seul hémisphère cérébral au repos et
l'autre aux aguets, d'autant plus que Véronique dort très bien et n'entend pas les alarmes de nos consciencieux et insomniaques veilleurs de nuit.
Visite surprenante :
Alors que la terre la plus proche est la Martinique à huit cent milles (env. 1500km), nous recevons une bien
étrange visite : une aigrette s'est posée sur Vo Lu Mondu. Une belle aigrette d'un blanc immaculé montée sur de grêles échasses noires, le bec pointu comme un dard d'un jaune éclatant et deux
boutons d'or en guise d'yeux. Je n'en ai pas la certitude mais on dirait bien une de ces aigrettes dites pique-bœuf qu'on peut voir posées sur le dos des bovins. Absolument pas une espèce
fréquentant le grand large ni même les eaux côtières d'ailleurs. Que fait-elle ici ? Je m'étonne qu'elle ait pu faire un aussi grand trajet, que ce soit depuis les Caraïbes ou depuis l'Afrique où
elles sont légion. Elle avait l'air bien fatiguée, les plumes ébouriffées et cependant elle n'est restée que quelques minutes sur son nouveau perchoir flottant. Dommage, on lui offrait volontiers
gîte et couvert. Mais peut-être que nous n'allions pas dans la direction qu'elle souhaitait.
Enfin !
Quatorzième jour en mer et, enfin ! nous avons depuis cette nuit de vraies conditions alizéennes, environ
vingt nœuds de vent de nord-est, une houle assez formée, un beau et chaud soleil et de gros nuages blancs bien rondouillards. Navigation rapide et confortable au vent arrière. Vo Lu Mondu paraît
léger et fringant même s'il ouvre sa route avec puissance et détermination. La moyenne a considérablement augmenté, un peu plus de six nœuds ces dernières heures ; pas de pronostic annoncé sur la
date possible d'arrivée, même si c'est tentant (moins de six cent milles à parcourir, je vous laisse faire la règle de trois si ça vous amuse), rien ne garantit que nous aurons ces belles
conditions jusqu'au bout.
La journée d'hier ainsi que le début de la nuit n'avaient pas été bien drôles, pluies fréquentes qui nous
obligeaient à fermer les hublots et la « porte d'entrée » ce qui n'était pas très efficace pour ventiler l'intérieur de la coque. Le vent nous a de nouveau lâchés, nous laissant seuls
nous débattre avec une mer aux vagues totalement désordonnées, le summum de l'inconfort. La solution est venue, une fois de plus de la mécanique ronronnante ou vrombissante selon l'appréciation
personnelle de chacun. Véronique en a profité pour tester l'imperméabilité de son ciré quasi neuf en restant des heures sous la pluie, et même en dormant un moment allongée dans le
cockpit.
Finalement Eole a renvoyé son avant garde en début de nuit sous forme de grains sous de gros nuages noirs
accompagnés de fortes averses. Après avoir bien bossé dehors à prendre des ris puis à les lâcher pour les reprendre juste après, je m'allonge satisfait avec la grand voile et le foc
considérablement réduits, on ne va pas vite mais on s'en contentera pour passer une nuit tranquille.
Il est tôt, environ 18 h locale et cependant je m'endors sans dîner comme un bébé bien fatigué après sa
journée à la crèche.
Réveillé deux heures plus tard par le bruit des voiles qui réclament un réglage. Vent à peu près stabilisé,
mer un peu calmée, surface vélique augmentée, estomac satisfait par une boite de sardines, deux tranches de pain frais aux raisins et noisettes (merci Sonia pour les noisettes) couvertes de
confiture des prunes de ma voisine Nadine et une orange canarienne, et retour à la couchette pour une longue et confortable nuit interrompue uniquement par les contrôles périodiques aux
instruments et aux alentours (toutes les deux heures à tour de rôle donc quatre heures consécutives de sommeil, relatif et possiblement interrompu par d'éventuelles manœuvres en ce qui me
concerne).
Et au réveil, merveille ! Ces belles conditions pour une belle journée pour faire du bon bateau.
Pourvu que ça dure comme disait la meuf à Napo...
Bon, on ne va pas se plaindre, ça a duré trois jours et en se renforçant en plus donc Vo Lu Mondu a bien
allongé la foulée.
Une nuit quasiment blanche sous un ciel très sombre, de gros nuages pleins de très grosses pluies avec en
même temps de fortes rafales, les aléas de la croisière...
Quelques jours ensuite avec un vent qui a pris du repos, ce qui a commencé à me faire trouver que la partie
venait à durer un peu trop longtemps.
Dix neuvième jour.
TERRE ! TERRE ! Comme ont sûrement dit, soulagés d'être arrivés quelques part, les compagnons de fortune ou
d'infortune de Christophe Colomb. C'était hier, il y à juste cinq cent vingt ans...
La montagne Pelée, point culminant de la Martinique, apparaît à l'ouest, droit devant nous. Cône volcanique
typique, aperçu à près de quatre vingt kilomètres.

L'ancre tombe dans la vase du Cul de sac du Marin à la nuit, à dix huit heures au milieu de centaines de
bateaux, jamais vu un tel rassemblement.
Une assiette de spaghettis et tout le monde au dodo pour une nuit où je peux, enfin dormir complètement, ou
presque. Il fait un calme absolu dans cette baie très fermée, le bateau est totalement immobile. Je me réveillerais bien deux ou trois fois mais pour mieux me rendormir ensuite.
Au matin du vingtième jour, vraiment content d'être arrivé, je vais pouvoir aller marcher, c'est probablement
ce qui me manque le plus.
A peine plus de dix minutes à terre et voilà mon copain Eric avec qui j'ai rendez-vous pour Noël. Je ne
savais pas où on allait se retrouver et voilà c'est fait par hasard. Bon, le Marin c'est pas franchement ce qu'on pourrait appeler une métropole, on en a vite fait le tour. Et puis pratiquement
tout le monde fini par passer un bon moment au Mango Bay pour boire (enfin!) quelque chose de frais et surtout profiter d'une connexion internet.
En mer, il y a quelque chose qui n'existe pas (sauf dans les hautes latitudes avec les aurores boréales et
australes), c'est la couleur verte. A part les protections de mes voiles, rien n'est vert. Pour moi, ça a été une vraie joie de découvrir depuis le large cette belle végétation tropicale avec une
infinité de nuances dans les verts. Et pour ajouter à cette note bucolique, il y avait même des vaches à flan de colline.
L'accueil et l'ambiance sont vraiment sympas et décontractés, ce qui ne fait qu'ajouter au plaisir d'être
arrivé « de l'autre côté ».
La deuxième nuit aurait pu être de la même veine que la précédente mais le vent en a décidé autrement et
l'ancre a chassé, elle ne retenait plus le bateau, donc à trois heures du matin, branle bas de combat, tout le monde sur le pont, mille sabords, il fallu remonter l'ancre et arriver à la refaire
s'accrocher dans la vase (trois tentatives) pour finir pas tranquille du tout cette nuit un peu rude. Le bateau reste le bateau, ce sont les éléments qui décident de votre vie. Toujours.
C'est la première fois que mon ancre chasse (c'est une Spade pour ceux que ça intéresse) alors que j'ai fait
je ne sais combien de dizaines de mouillage et pas toujours dans des conditions faciles. Donc, méfiance au mouillage du Marin.
Navigateurs solitaires.
Lors de longues traversées comme celle-ci, beaucoup d'équipages, à un moment ou un autre finissent par vivre
dans des conditions conflictuelles du fait de la proximité, du petit espace vital, du caractère de chacun qui se révèle (surtout les petits côtés irritants pour les autres). Les histoires de
couples qui arrivent avec la décision ferme et définitive de divorcer ne manquent pas.
Le pari de partir avec une « inconnue » était plutôt risqué, je le reconnais. La semaine passée
ensemble à bord pouvait donner une petite idée de ce pourrait être notre cohabitation pendant presque trois semaines mais ne pouvait donner de toutes façons toutes les garanties que tout se
passerait dans la plus parfaite cordialité.
Eh bien, pas de mauvaises surprises. L'entente a été bonne et cela est probablement dû au fait que nous avons
pratiquement navigué tous les deux en solitaires. Comme je l'ai déjà dit, Véronique a passé le plus clair de son temps à l'extérieur et moi une grande partie du mien à l'intérieur. J'aime aussi
être dehors mais par moment et je n'arrive pas bien à me concentrer sur une lecture parce que je suis toujours à regarder tout autour alors que le paysage ne change pas aussi souvent que lors
d'un Paris-Marseille en TGV.
Donc elle dehors et moi dedans. Et on se retrouvait au moment des repas qui étaient donc aussi l'instant des
discussions, jamais très longues il faut le dire.
Sur le plan de la navigation, je reconnais que je n'ai pas beaucoup mis Véronique à contribution alors
qu'elle n'a jamais rechigné à la manœuvre mais j'ai tellement l'habitude de le faire par moi-même...
La nuit, chacun avait son réveil programmé toutes les quatre heures pour faire un tour de ronde, même si je
me réveillait bien plus souvent.
Donc ce n'était pas loin d'être une transat en SolitaireS.
© Marc Perrussel
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