1 juin 2013
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18:45
L'océan est un immense désert, bien plus immense que le Sahara considéré comme La référence dans le domaine. C'est mon dixième jour en mer et depuis cinq ou six journées je suis totalement dans ce désert, seul, je n'ai vu rien d'autre que l'eau, le ciel, les nuages, quelques rares poissons volants faisant des concours de ricochets sur les vaguelettes à l'approche de ce monstre gris aux ailes blanches que doit représenter pour eux Vo lu mondu. L'immense surface bleue est par endroit envahie par les taches jaune orangées de paquets plus ou moins étendus de sargasses, ces algues qui ne vivent sur aucun autre support que l'eau salée de la mer à laquelle elles ont donné leur nom.
Plus un bateau, plus un oiseau, un désert, un vrai. Gigantesque surface sans limites visibles. Et pourtant, entre coup d’œil fugitifs et instants plus ou moins prolongés pendant lesquels mon regard parcourt, balaie le grand bleu, c'est durant des heures que mes yeux regardent sans regarder, observent sans observer. Vagabondage du regard. C'est le désert, je vous dis. Circulez, y a rien à voir.
Et puis un mouvement furtif, inhabituel, comme un éclair sombre, aimante mes pupilles puis mon esprit, les attirent hors de mon occupation du moment. Une faucille noire vient de trancher le presque miroir bleuté qui m'entoure en ce matin calme.
En une fraction de seconde mon cerveau essaie de corriger le résultat de cette trop brève observation. Vu la taille de l'animal, ce serait plutôt un globicéphale, mais non, impossible, la forme de l'aileron ne correspond pas du tout. Alors quoi ? Je vais ensuite avoir tout le temps de l'observer car ce cétacé est resté plus d'une heure très près du bateau, visiblement très intéressé par cette rencontre. J'ai rapidement identifié, cette fois avec certitude, que c'est une baleine de la famille des rorquals. Vu sa taille, environ sept mètres, il ne peut s'agir que du petit rorqual ou rorqual à museau pointu, balaenoptera acutarostrata, ce que ma documentation me confirmera.
Diaporama. © Marc Perrussel
A d'autres moments, juste rester le long de la coque, sa nageoire pectorale gauche effleurant presque la quille droite de Vo lu mondu, comme une tranquille promenade compagnie, faisant entendre périodiquement son souffle, air humide expulsé par ses deux évents, comme des profonds soupirs de bien-être.
Diaporama. © Marc Perrussel
Disparue. La voilà sûrement repartie sur sa route après un petit divertissement passager. Mais non, un bruit dans mon dos sur l'autre bord, juste le temps d'apercevoir ce corps fuselé, luisant au soleil, camaïeu de gris, pratiquement hors de l'eau, ses cinq tonnes retombant en éventrant la surface océanique dans un mélange de fracas, d'écume et d'éclaboussures.
Puis elle est repartie comme elle était venue, en douceur, discrètement, sans laisser d'autre trace que celle imprimée à jamais au plus profond de mon être. Merci.
"Le désert est beau. Ce qui embellit le désert, c'est qu'il cache un puits quelque part." écrivait Antoine de Saint Exupéry dans Le petit prince.
Pour le navigateur solitaire, la baleine, c'est le puits de l'océan.
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L'océan est beau. Ce qui embellit l'océan, c'est qu'il cache une baleine quelque part.
Marc