Dans un des plus anciens articles de ce blog je racontais l’histoire de ce petit garçon blondinet qui rêvait assis sur le sable blanc et chaud de la plage corse de son enfance. Il rêvait qu’un jour il aurait son bateau dont l'étrave sillonnerait les surfaces océaniques, aller d’un continent à un autre, naviguer d’une île à une autre. Juste avec la mer et le vent.
Bien des années plus tard, le bateau a existé, le bateau a vogué sur ces flots tant désirés, il a tracé son éphémère sillage sur près de 20 000 milles nautiques (environ 37 000 km). Il n’a certes pas fait le tour de la planète bleue mais le but n’était pas là. Le but était la réalisation du rêve d’un petit garçon qui regardait les vagues. Ce but là est atteint.
Autre rêve
Qui n’a pas rêvé un jour de vacances au soleil, de plages de sable blanc baignées par des eaux turquoises et ombragées par des cocotiers dont les palmes se balancent comme des éventails agités par les bienfaisants alizés ? Tout ça bien loin de la grisaille hivernale quotidienne. Magique ! La carte postale des dépliants des agences de voyage.
Je suis actuellement dans cet environnement apparemment idyllique aux Iles Vierges Britanniques, petit archipel des Caraïbes. L’endroit est agréable, un nombre incalculable de mouillages où poser son ancre pour la nuit et dormir sereinement dans un bon abri bien protégé du vent et de la houle. Beaucoup de bateaux, principalement des unités de location de personnes séduites par les cartes postales évoquées ci-dessus mais il y a toujours un petit coin plus ou moins désert pour ceux qui recherchent la tranquillité.
Et cependant ma réalité est tout autre que cette belle ambiance de vacances. Je ne suis pas en vacances, je suis en voyage, ou plutôt je suis dans une vie de voyage.
Mis à part les vacanciers à la semaine ou à la quinzaine, Il y a d’autres espèces de navigateurs, probablement tous issus du même rêve.
Beaucoup d’américains ou canadiens, retraités aisés pour la plupart, qui ont fui les rigueurs hivernales de leurs pays, ils viennent passer six mois dans la chaleur tropicale avant de mettre leurs bateaux à terre aux bons soins d’un chantier naval et retournent retrouver maisons, familles et amis pendant « la belle saison ». Nouvelle espèces d'oiseaux migrateurs en quelque sorte.
L’autre espèce navigante que l’on peut observer, ce sont les navigateurs voyageurs comme moi. Et là il y a plusieurs sous espèces :
- Ceux qui passent quelques temps dans ces contrées insulaires avant de faire le grand saut vers l’océan Pacifique. En général leur projet est un tour du monde, au minimum trois ans à voguer vers l’ouest avec la promesse d’îles et de pays enchanteurs. Je pensais faire plus ou moins partie de ceux-là. J’ai réalisé que les distances séparant les destinations dans cette immensité océanique impliquaient des semaines en mer sans toucher terre. Et cela ne m’enchante pas du tout. Ce que j’apprécie le plus, c’est le cabotage le long des côtes, pas les grandes tirées océaniques sans voir personne pendant plusieurs semaines. Solitaire mais sociable. Donc je n’irai pas comme prévu vers le Mexique et la Colombie britannique sur la côte ouest du Canada. Il n’est virtuellement pas possible de remonter vers le nord le long des côtes américaines, les vents et les courants s’y opposent. Il faudrait aller jusqu'à Hawaï avant de mettre le cap vers Vancouver. Au moins 7000 milles nautiques (13000 kms), au moins deux mois et demi au large. Non merci.
- Ceux qui sont arrivés aux Antilles il y a plus ou moins longtemps et qui ont succombé à la tropicalisation, à la vie tranquille et facile que l’ont peut avoir dans ces contrées au climat agréable. Ils peuvent y rester des années, sans autre but que de se la couler douce. Ils sont, à mon avis, tombés dans un piège terrible, celui de regarder le temps qui passe et de ne rien faire pour que ça change. Évidemment pas question pour moi de passer au travers de cette trappe. Le temps est trop précieux et irremplaçable pour le laisser filer sans rien en faire. Pas question non plus de « passer le temps » en attendant de faire quelque chose. Un vagabondage oisif ? Non merci, pas pour moi. C’est ce que j’ai un peu l’impression de vivre depuis que je suis de ce côté de l’Atlantique et cela ne me convient pas, je n’y vois ni intérêt, ni sens. Et si je n’étais pas tenu à suivre les « bonnes » périodes météorologiques, j’aurais déjà pris le chemin du retour.
- Ceux qui ont pris une année sabbatique, souvent en famille, pour faire « un tour de l’Atlantique », traversée automnale de l’Atlantique d’est en ouest vers le Brésil ou les Antilles puis traversée retour d’ouest en est vers l’Europe en fin de printemps. C’est finalement ce groupe là que j’ai décidé de rejoindre pour un retour vers le vieux continent en passant par l’escale quasi inévitable de l’archipel des Açores avec arrivée « de l’autre côté » au début de l’été.
Certes j’aurais observé moins de baleines que souhaité, j’aurais abordé moins de pays que j’imaginais, fait moins de rencontres qu’espéré, mais l’essentiel n’est pas là. J’aurais réalisé ce que je voulais depuis très longtemps et la durée n’était pas du tout déterminée. J’ai toujours dit que je mènerai cette vie tant que je ne trouverai pas quelque chose de plus intéressant à faire. Il me semble qu’il est maintenant temps pour moi de prendre une autre direction, de faire quelque chose qui a du sens, quelque chose d’utile pas seulement pour moi. Et il y a des personnes que j’aimerais voir plus souvent et ma chatte me manque également.
Donc le retour sera serein et sans regret.
Départ lundi prochain en principe pour au moins quatre semaines en mer jusqu'aux Açores.
Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage…