Le ciel est plombé cet après-midi dans un camaïeu de gris sombre et il est là, encore plus foncé que les nuages si bas. L'océan est là devant moi tout en bas de cette falaise
de bout du monde. Ici c'est le cap Finisterre, la pointe occidentale de l'Espagne et du continent européen. Le Chemin s'arrête là et moi aussi, juste devant la dernière borne du camino, celle où sous la coquille bleue je peux lire : km 0,00. Même en ayant parcouru près de 1600 km pour arriver là, je ne dirais pas que l'océan est enfin là. Cela voudrait dire que j'étais dans l'attente de ce moment-là ce qui n'était pas le cas. Non, je ne l'attendais pas, je n'étais pas pressé d'y arriver lors de cette dernière journée de marche. A sa vue, j'ai eu un sentiment de plénitude, un sentiment d'avoir accompli quelque chose de très beau et d'important et d'avoir participé à une œuvre collective avec les millions de pèlerins d'hier et d'aujourd'hui qui ont foulé ce chemin. Et là je me suis senti prêt à rentrer chez moi.
Il y a deux mois, je partais sur le chemin de Compostèle, pas à reculons ou en traînant les pieds mais presque. J'avais dans l'idée qu'il portait une forte connotation religieuse dont je n'avais que faire. Quelle stupidité les idées préconçues ! Quelle stupidité cela aurait été de ne pas se lancer sur cette voie !
Ma toute première semaine durant laquelle j'ai traversé la Lozère aura été de la pure randonnée, de la marche. Puis j'ai rejoint la voie du Puy en Velay. Et là, très rapidement j'ai senti que la randonnée était terminée, que ce chemin de grande randonnée, GR 65, n'en était pas un. La terre, les cailloux, les rochers qui le constituent sont imprégnés par l'énergie transmise par un nombre incalculable de pieds qui s'y sont posés. Et nous-mêmes, marcheurs d'aujourd'hui, nous nous laissons imprégner par cette histoire plus que millénaire. Elle se trouve là cette œuvre collective dont je parlais plus haut.
Car si beaucoup comme moi s'y trouvent dans une démarche solitaire, nous nous retrouvons rapidement faisant partie d'une communauté cheminante.
Ce chemin est enchanteur par la beauté et la quiétude des paysages traversés, par l'extraordinaire richesse du patrimoine architectural, principalement religieux, qu'on y rencontre : chapelles, églises, cathédrales, monastères et un nombre incroyable de croix. Quand c'était possible j'ai visité ces bâtiments, en plus de la splendeur architecturale, ce sont des lieux de silence et de paix.
J'ai dormi dans une petite et très ancienne chapelle. La nuit s'annonçait bien froide et elle s'est présentée à moi sur le bord du chemin comme un abri accueillant. J'ai deroulé mon matelas et mon sac de couchage et, comme il m'arrive de le faire le soir avant de m'endormir, j'ai mis un peu de musique. Même si ce n'était pas fort, j'ai très vite baissé le son, j'avais l'impression de déranger...
Sur la partie espagnole du chemin, malheureusement la plupart des édifices religieux sont soit fermés soit il faut payer pour y entrer, ce que beaucoup de pèlerins refusent pour la raison qu'ils sont justement des pèlerins et pas des touristes.
Cependant, même si cet aspect "touristique" et esthétique est appréciable et apprecié, la principale beauté et l'intérêt majeur du chemin ne sont pas là, ils ne sont pas visibles.
Une des premières choses qui m'a frappé c'est que j'y ai trouvé, retrouvé, ce qui était il y a bien longtemps la devise de la France : "Liberté, Égalité, Fraternité ". Je dis bien "était" car il n'aura, je pense, échappé à personne que cela n'a plus cours depuis longtemps dans notre beau pays soit-disant des droits de l'homme... Un peu comme le village d'Astérix, ce petit bout de territoire qu'occupe le chemin résiste, il est le dernier bastion de ces trois valeurs fondamentales. Je les ai ressenties très fort et j'y rajouterais "humanité, respect et solidarité".
Je vous laisse imaginer le bien-être ressenti quand on se trouve entouré pendant des jours et des jours dans une telle ambiance. Car ce voyage est tout à la fois solitaire et communautaire, solitaire et compagnie. J'ai vraiment beaucoup apprécié cela.
Et progressivement on se rend compte qu'on ne "fait" pas le chemin, c'est lui qui commence à vous "faire". Il vous pénètre à chaque pas par la plante des pieds, il finit par vous traverser, vous transpercer. Mais cela dépend de chacun, il appartient à chacun de se laisser faire ou pas. Le coeur et l'esprit ouverts et tout est possible.
Dans cette paix ambiante, le temps est venu pour la réflexion, l'écoute de soi-même et de l'autre, le partage, la recherche de sens, la découverte de l'intériorité.
Et ce chemin n'est plus un chemin qu'il faut parcourir pour aller quelque part, il te mène à te parcourir. Il se parcourt dans la longueur, dans la lenteur, dans la douceur et aussi dans la douleur me rappellent mes pieds et ma jambe gauche.
Il ramène à l'essentiel, à la simplicité. Marcher. Manger. Dormir. Penser. Ajoutez à cela que tout ce dont on a besoin se trouve dans notre sac à dos (et rares sont ceux qui n'ont rien de superflu dans le sac) et en nous-mêmes et vous vous retrouvez dans la légèreté et dans cette sobriété heureuse chère à Pierre Rahbi.
Et ce peu satisfaisant il se partage avec cette communauté de cheminants. Tout se partage, que ce soient les pensées, les joies, la nourriture, les douleurs physiques ou morales. Il est tellement étonnant d'ouvrir aussi facilement son coeur et son esprit à une personne inconnue quelques instants auparavant alors qu'on ne le ferait pas avec forcément avec des personnes plus proches.
Sur le chemin se créent des amitiés aussi vraies et profondes qu'éphémères. Que de belles rencontres qu'on oubliera jamais ! Merci Piluca, Yvonne, Andrès, Luciano, Serenella pour vos présences, pour les merveilleux partages, pour votre chaleur humaine, pour votre amitié tout simplement.
Les rencontres sont innombrables et variées. C'est vraiment l'Internationale du chemin, surtout sur la portion espagnole, le camino frances (le chemin français). J'y ai recensé près de cinquante nationalités différentes, tous les continents sont représentés (pas vu de manchot en provenance de l'Antarctique), même si l'Afrique n'était représentée que par des africains du sud blancs. Dommage que nos frères africains noirs ne soient pas présents.
Quelles que soient les langues et les cultures, la fraternité est la même.
Curieusement, en proportion, les plus nombreux sont, il me semble, les coréens du sud. Il y en a vraiment beaucoup. Pourquoi ? Eux-mêmes n'ont pas pu me le dire.
L'immense majorité commencent leur chemin a Saint Jean Pied de Port. Autrement dit par l'étape la plus dure physiquement. Le menu de la première journée est donc très copieux : 27 km dont 18 km en montée avec une pente moyenne d'environ 10%, 1200 m de dénivelé positif. Et sans entrainement ce n'est pas une promenade de santé. Et les coréens ne sont pas les seuls à souffrir. Ce qui m'a frappé chez eux au début ce sont leurs visages fermés. C'est probablement lié à leur culture mais aussi au fait que beaucoup d'entre eux parlent mal l'anglais (langue la plus utilisée sur le chemin). Puis au fil des jours et des kilomètres leurs visages et leurs regards s'illuminent au fur et à mesure que leurs ampoules aux pieds s'éteignent et à l'arrivée sur la place devant la cathédrale de Saint Jacques un mois plus tard le chemin a fait son oeuvre, les différentes barrières sont détruites et, dans de longues étreintes fraternelles, nous nous sentons tous les mêmes .
Ce moment de retrouvailles ultimes avec tous ces pèlerins croisés et revus pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines est un instant merveilleux : tous ces visages sont rayonnants de bien-être ou de bonheur, emplis de fierté d'avoir réalisé quelque chose d'exceptionnel qui sera inoubliable.
Pendant ces deux mois le chemin m'a entraîné hors du temps et de l'espace. J'ai vécu dans un autre monde et dans une autre vie avec tous mes compagnons de route. Comme dans un rêve qui n'en n'était pas un.
J'ai toujours eu le sentiment d'être là où je devais être et content d'y être. A ma place.
Le chemin "physique" est terminé mais la périgrination intérieure peut être infinie....
Fin del camino y muchas gracias a la vida.
Ce blog n'était donc pas dans "mon" monde, je n'ai pas utilisé mon appareil photo (qui pour une fois faisait partie du superflu dans mon sac), et les quelques images dont je dispose ont été réalisées par mes amis marcheurs avec l'avantage que, pour une fois, je suis sur les photos.