Genève, quai Gustave Ador, 8h du matin.
"Allez, vas-t-en, ne reste pas là !" lui dis-je en claquant des mains.
Elle me regarde, sans bouger, les yeux emplis d’incompréhension.
"Allez, vas-t-en, il n’y a rien à faire, ne reste pas là ou ça va être ton tour aussi. C’est foutu je te dis, foutu. Vas-t-en, allez vite, ça ne sert à rien de rester là à côté de lui"
Le compagnon de cette cane colvert s’est fait écraser par une voiture pressée d’arriver à l’heure sur son parking professionnel.
Et, fidèle, elle reste à ses côtés, le suppliant probablement de retourner sur les eaux du lac Léman. Mais non, il ne bouge plus.
J’ai arrêté ma 2 CV au milieu, bloquant la circulation à cette heure de grande affluence, pour qu’elle ne subisse pas le même sort.
Elle a fini par partir mais avant son envol, j’ai vu le désespoir et la tristesse dans son regard. Je peux vous l’assurer, c’était du désespoir dans les yeux de cet animal.
Ma journée a été très triste aussi.
Pourquoi est ce que je vous raconte cette histoire véridique ?
Parce que je viens d’assister depuis le bateau à une scène incroyable.
Un goéland marin, le plus grand, avec le dos noir, survole le proche environnement, comme souvent, planant en prenant appui sur ses magnifiques grandes ailes, à la recherche de nourriture, pour
sûr.
Et soudain, il se laisse descendre très rapidement, fondant sur sa proie.
Les choses ne se passent pas toujours aussi simplement que ce qu’on pensait au départ. Nous le savons tous. Eh bien, il en est de même pour les goélands.
Arrivé à la surface de l’eau, il se retrouve assailli par les très violents coups de bec d’une cane colvert défendant bec et ongles sa progéniture, cinq ou six canetons âgés de quelques jours
seulement. Une vraie louve !
Quelle détermination ! Quel courage ! Quand on connaît la puissance du bec acéré de ce grand oiseau.
Est-ce la surprise ? Est-ce la peur de se trouver de nouveau face à une telle agressivité ? Toujours est il que l’assaillant est allé voir ailleurs s’il n’y avait pas quelque chose d’autre à se
mettre sous la dent. Sans risque.
Et la maman canard, encore tremblante et toute fière, a retrouvé tous ses rejetons qui s’étaient prestement mis à l’abri sous quelques feuillages de la rive toute
proche.
Alors, s'il vous plaît, la prochaine fois que, vous promenant sur les rives du lac Léman, de la Vesle, du lac de Sainte Croix ou n’importe où ailleurs, vous croiserez un couple de canards
colverts, admirez avec les yeux les belles couleurs du mâle et regardez tout autrement la femelle qui n’a pas reçu, elle, les mêmes atours que son compagnon, et vous verrez alors une très belle
créature avec un coeur gros comme ça.
"Oui les animaux ont une âme, Si j'avais déclaré cela devant des Néolithiques, des Egyptiens, des Grecs, des Perses ou
des Indiens, j'aurais enfoncé une porte ouverte... Pour tous les Anciens, en effet, l'âme animale était une évidence."
Jean Prieur, L'âme des
animaux, Robert Laffont, France Loisir, 1986, page 10.
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